VOYAGE DE LA PROMO EA 66

AU VIETNAM ET AU CAMBODGE

du 18 mars au 1er avril 2010

ou

Baba au pays de la bababa(1)


Préambule

Je ne surprendrai personne en notant d’emblée la couleur : le récit ci-dessous du voyage de la promo 66 au Vietnam et au Cambodge contient un certain nombre de contrepèteries. Il faut donc admettre que la syntaxe soit parfois singulière.

Je rappellerai, pour d’éventuels récalcitrants, qu’une contrepèterie peut être définie comme :

« l’art de décaler les sons »

C’est un jeu de mot sonore, qui consiste à permuter deux phonèmes dans une phrase d’apparence normale pour en changer totalement le sens, la traduction ayant alors un caractère grivois, voire cochon, si ce n’est scatologique. Dans la phrase citée ci-dessus, il faut bien sûr permuter mais le « ke » de « décaler » avec le « ce » de « son ».

Il y a dans ce récit - si le décompte est bon - 415 contrepèteries à découvrir. Le plus grand plaisir, pour ceux qui comme moi ont l’esprit un peu tordu, consiste à trouver les traductions soi-même. Mais pour ceux qui, pressés par le temps ou ayant un esprit trop droit(2), n’arriveraient que très loin du chiffre ci-dessus, qu’ils ne désespèrent pas : sus à l’annexe ! Elle vous permettra d’identifier les phrases contrepètantes, et le tout vous semblera déjà moins confus. Dans une seconde partie, les esprits encore hésitants seront guidés vers la traduction, les cotes à permuter y étant soulignées (pour préserver la morale, une contrepèterie ne se traduit jamais par écrit). Le lecteur pourra ainsi jouir de la solution des pages.

Enfin, par pure honnêteté intellectuelle, je tiens à préciser que ce que je vous présente n’est pas le tout de mon cru. J’ai fait de larges emprunts aux auteurs experts en la matière, et en particulier au « Manuel du contrepet », de Joël Martin, maître es-contrepèterie.

Je précise en outre que, n’étant pas en l’occurrence rédacteur d’un guide touristique, je me suis permis de supprimer quelques éléments mineurs de notre séjour, sans intérêt dans le cadre de ce récit. Mais j’ai essayé néanmoins de relater fidèlement, précisions à l’appui, notre cheminement du 18 mars au 1er avril à travers le Vietnam et la Cambodge, ainsi que les commentaires de nos guides, et tout ce qui est relaté est véridique, ou presque. La plupart des développements partent de faits ou de propos réels, seules quelques digressions ou observations sont  le fruit de mon imagination parfois tordue.

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Voyage de Paris à Hanoï

Avant le voyage, nos toubibs Anne Mignard et Jean-Paul Postis nous avaient conviés à prendre quelques précautions, comme vérifier l’âge des vaccins. Ils nous ont aussi recommandé d’emmener un traitement contre la tourista, car au Vietnam on peut facilement être sujet à la philanthropie. Pour les dames, faire attention aux mets qui risquent de déranger. Mais dans ce cas, rien de tel qu’une bonne ventrée de riz pour remettre les choses en place. Il faut aussi se méfier aussi des pires nausées et faire attention aux poux de latrine. Et suite à un décès par grippe aviaire, en février dernier, nos toubibs nous ont recommandé de ne pas trop nous approcher des poules qui muent.

C’est donc le 18 mars 2010 à 13H30 que nous décollons de Roissy. Heureux d’emprunter un vol d’Air Vietnam, nous déchantons vite : comme on s’y attendait, nous avons de belles hôtesses, mais c’est fou, elles sont coincées, mal aimables, dédaigneuses, ne parlent pas un mot de français et ne cherchent même pas à comprendre. Sans s’intéresser au passagers, elles vont et viennent, sans cesse et sans fin. Quant aux stewards, ils ont une mine de plomb. Nous atterrissons enfin le matin de bonne heure à l’aéroport d’Hanoï, quelque peu inquiets. Est-ce bien l’accueil que nous avons voulu ?

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Arrivée au Vietnam. Nous faisons connaissance avec notre guide, Lam

Notre guide nous attend et règle quelques problèmes de visas. Puis il se présente : nous l’appellerons par son prénom, Lam, « la forêt » en vietnamien. Après nous avoir présenté la monnaie locale, le dong (1 euro vaut 25.000 dongs, 1 dollar 20.000), il comprend très vite notre désarroi, lorsqu’un membre du groupe lui demande combien il faut de dollars pour acheter une paire de tongs ! Quel bide, il n’a rien compris ! Mais Lam est plein de ressources, et lors de ses études il a appris comment calculer en cent leçons. Il nous fabrique donc une calculette pour nous simplifier la vie : en fait, il nous fait un petit papier bien condensé qui nous donne la valeur en dongs de sommes allant de un à cent euros. Avec ça en poche, plus de risque, et on prend conscience qu’on est tous millionnaires. Pas de doute : l’homme adore les maths, même les maths qu’on pourrait qualifier d’impossibles. En tous cas, il prend soin de nos neurones pas toujours avisées. Mais quel drôle de nom, le dong ! L’origine viendrait du bruit fait par les pièces de monnaie (à l’origine, car elles ont été remplacées par des billets) qui résonnaient quand une riche créancière faisait banquer les viets : dong !

Lam est très organisé et prévoyant. Tout d’abord, par mesure de sécurité, dit-il, il conserve nos passeports, en nous expliquant que ce serait un véritable problème si on se le faisait voler ou si on l’oubliait, et qu’en cas de contrôle la police pourrait nous coller au violon ! De plus, pendant tous les voyages en bus, il nous organise régulièrement un arrêt technique. En fait, c’est pour nous permettre de piquer un sous ou faire quelques menus achats. Certains prétendent qu’avec notre nouvelle monnaie cette contrepèterie n’est plus possible, et qu’il faudrait dire « piquer un euro ». Pourquoi pas ? Autre précaution, Lam distribue des casquettes et nous recommande de les porter, pour nous permettre de mieux nous repérer. Nous sommes disciplinés, et pour lui faire plaisir, chacun met sa casquette. Mais ces casquettes sont d’un coquet ! Enfin, dernière précaution, à chaque départ en bus, Lam nous fait le décompte des bagages, pour s’assurer qu’il n’en manque pas. On sait ainsi que Couli passe de 2 à 4 valises, ce qui inquiète Oumou, quelque peu énervée par l’abus des valoches.

En outre, il nous apparaît que Lam, malgré son éducation très orientée dans les écoles du parti communiste vietnamien, a eu en héritage un petit quelque chose de la présence française en Indochine : un soupçon d’esprit gaulois. Serait-ce l’effet d’une mutation féline ? Il prend en effet un grand plaisir à nous raconter des histoires grivoises, qu’il tient de groupes précédents. Nos femmes ne sont pas déçues. Pas de doute, ce guide les botte ! Et le summum, Lam semble même doté d’un art formidable : la contrepèterie. A plusieurs reprises il contrepètera sans le savoir, et il appréciera grandement les classiques du genre qui lui seront servies. Ainsi, lors d’un trajet en bus, alors qu’il nous demandait quel est le comble du dentiste, au lieu de la réponse classique (trouver sa femme au lit avec un mal de dent), il lui fût répondu : faire un dentier au pompiste, puis en deuxième choix : mouiller la carie. Il apprécia et assimila, si bien qu’un soir, dans le bus, il nous annonça en se délectant que pour le dîner nous aurions des nouilles encore.

Notre séjour au Vietnam commence donc par le Tonkin, province nord du pays. Puis nous descendrons en bus jusqu’à Danang, au centre du Vietnam, dans l’Annam, avant de prendre l’avion pour Saigon, au sud, en Cochinchine.

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Séjour à Hanoï

Notre première journée est consacrée à la visite des hauts lieux de Hanoï. À l’origine, la capitale du Tonkin s’appelait Than Long, la cité du dragon. La légende veut que ce soit en souvenir d’une jeune tonkinoise qui avait fait don de son cœur à un dragon pour sauver la ville.

Notre première visite est consacrée au mausolée d’Ho Chi Minh. L’oncle Hô voulait être incinéré, mais contre sa volonté il a été embaumé, comme Lénine et Staline. Le bâtiment, comme il se doit, a été construit dans un style très soviétique, et deux gardes militaires font le planton. Ho Chi Minh est le héros national, omniprésent dans tout le Vietnam. Lorsqu’il a créé la ligue d’indépendance du Vietnam, autrement dit le Viet-Minh, il a montré sa piste à la nation.

Avec lui, c’était une histoire de famille. On l’appelait familièrement oncle Ho, mais comme il rêvait souvent, on l’appelait aussi « père Ho Chi Minh », et les petites filles, plus affectueusement, se réjouissaient de l’affection d’un grand-père. Quand il a pris sa retraite à Hanoï, il avait une tante qui s’occupait de lui et sur ses vieux jours le promenait dans sa chaise roulante. Mais à la fin elle ne voulait plus sortir son tonton fripé, et il s’est fâché tout rouge quand il a appris que sa vieille tante était entrée en France.

Un peu plus loin, le Palais présidentiel. Nous prenons la queue et coup d’œil, on ne visite pas. C’est l’ancienne résidence du gouverneur général de l’Indochine. Paul Doumer, qui assuma cette responsabilité dès 1897, a renouvelé l’économie locale, développé la riziculture, construit des routes et des voies ferrées. Il est toujours bien apprécié des vietnamiens pour ses réalisations, et son nom désigne encore un des ponts d’Hanoi, qui pendant la guerre du Vietnam a été bombardé à outrance par les américains, mais jamais détruit. Les services secret vietnamiens, pour tromper les américains et mettre fin aux bombardements, déclaraient que ce vieux pont de Doumer était très cassé depuis longtemps. Les américains, après avoir arrêté les bombardements, à la fin de la guerre, ont pu constater qu’il n’y avait là qu’un pont effrité, alors qu’ils pensaient trouver un pont de coupé.

Dans le parc du Palais, nous visitons la maison sur pilotis d’Ho Chi Minh, où le président a vécu de 1958 à sa mort, en 1969. Construite en teck, rustique, avec seulement 2 pièces, elle est au bord d’un étang où l’oncle Hô venait nourrir des carpes. On prétend qu’en ce lieu il méditait longuement sur les subtilités de la langue française, ne sachant s’il fallait dire « pêcher dans l’étang » ou « pêcher en l’étang ». Serait-ce la véritable raison de son opposition radicale à la France ? En tous cas, il vivait très simplement, presque en ascète. Sa gouvernante affichait la devise de la maison : j’évite l’abus. Pour tout décor, surprenant, il y avait une vierge entre deux ascètes, au point de se demander si tonton Ho ne s’était pas converti au catholicisme. Sa gouvernante, abîmée par bien des luttes, subit l’ascète, mais elle aurait préféré sans aucun doute une vie plus mondaine. Certains, la croyant responsable de cette vie de reclus, lui demandaient parfois : « Mais pourquoi t’as caché tonton ? ». Exception qui confirme la règle, oncle Hô reçut un jour une amie française, prénommée Chimène, avec son mari marseillais. Pour le déjeuner, le marseillais avait préparé un plat typique, une soupe de poisson, et fier de lui, avec son accent il s’exclamait: « Oh ! Chimène ! Regarde ces bourrides ».

Puis Lam nous laisse un moment pour la visite libre de la Pagode au pilier unique, construite en 1049. En forme de fleur de lotus, elle repose sur un pilier en béton, au milieu d’un petit bassin. Le pilier était à l’origine en bois de fer, un bois très dur et résistant, et nous trouvons atterrant la mise en œuvre du béton en ces lieux. Les architectes vietnamiens étaient en effet des adeptes du béton très tôt, mais dans le cas présent, le chantier n’était pas d’importance, et ils n’ont pas eu besoin de manipuler le béton à la tonne. Lam nous explique - et c’est là que nous découvrons ses prédispositions pour la contrepèterie - que le pilier d’origine a été miné par les guerres, formulation approximative(3) il est vrai, mais prometteuse. En fait, une autre explication qui circule est que les constructeurs n’avaient pas bien scellé le trou avant la fondation.

Nous visitons ensuite le Temple de la littérature, construit en 1070, dédié à Confucius. Ce temple a accueilli la 1ère université vietnamienne, pour former les futurs mandarins. Il est supporté par 40 colonnes de bois, pleines de charme, laquées rouge. C’est un lieu de culte, où on trouve la statue de Confucius en bois laqué, ainsi que les statues de quatre sages inventeurs et 82 stèles listant les diplômés, posées sur des tortues de pierre. Est-ce l’effet de Bouddha, les tortues mâles ont d’énormes bides ?

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Interrogations sur l’origine du groupe

En revenant au bus, on est assailli par une nuée de marchandes de T-shirts et autres chinoiseries, très accrocheuses, qui nous demandent d’où nous venons. Tout au long du voyage, nous serons ainsi interrogés par les curieux, qui nous saluent par des « Hello » et nous demandent « American ? ». Notre connaissance approfondie de la langue anglaise nous permettait de comprendre ces questions, mais par principe, pour marquer notre origine, nous répondions « Bonjour, nous sommes français ». Devant leur air interloqué, nous précisions « La France, Paris ». Même incompréhension … En désespoir de cause, nous précisions « Sarkozy, Carla Bruni, Thierry Henri, Zidane ». Et là, c’était le déclic : « Zidane, le football, la France », arrivions nous à comprendre. Hé oui, il faut le reconnaître humblement, Zizou est notre héros national, mondialement connu, jusqu’au Vietnam. Les vietnamiens sont en effet des fans du foot, de façon pas trop logique. Faisant appel à leurs notions passées de la langue française, certains arrivaient à nous demander dans quel club jouait Sarkozy, l’appelant familièrement Sarko, et ironisaient sur la main de Thierry Henri. On a bien sûr essayé de leur expliquer que Sarkozy n’était pas footballeur, et que par respect pour ses fonctions, il ne fallait pas couper le « zy » de Sarkozy. Et pour Thierry Henry, on affirma que la main était involontaire, car jamais il ne triche au football. Puis comme on prétendait que Zidane ne valait plus un sous, sauf pour les publicitaires, ils nous répondaient dans un français approximatif « Le Zizou, ça vaut, si, si ! »(4). Puis ils évoquaient son coup de boule en finale du Championnat du monde 2006, insistant sur le fait que dans le foot, il faut qu’on se redoute.

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L’après-midi à Hanoï

En début d’après-midi, nous rejoignons notre hôtel. Nous avons quartier libre, mais notre hôtel étant excentré, nous n’aurons malheureusement pas l’opportunité de visiter le cœur d’Hanoï. L’organisateur du voyage a préféré consacrer plus de temps à la visite ultérieure de Hoï An, jolie petite ville de l’Annam, dont le nom est la version contrepétée(5) de la capitale du Tonkin. Nous partons donc à la découverte du quartier. Gros problème pour traverser la rue, tant la circulation est dense et les conducteurs apparemment peu respectueux des piétons. Indécis, nous cherchons le bras du guide, mais il n’est plus là et ce n’est pas vraiment le lieu. Il n’y a pas de gros dans la région, les vietnamiens mangent peu, et trop de repas conduit à l’obèse. Certains disent que c’est un principe politique : trop dîner serait décapant. Si on exclut les touristes, seul le Bouddha de bois qui monte la garde à l’entrée de notre hôtel répond à ce critère. Il est d’ailleurs superbe, ce bouddha rieur. Et sa mine repue !

Nous arrivons néanmoins à rejoindre un petit lac, à proximité, avec une zone de jeux pour enfant. Un groupe de jeunes vietnamiennes nous prend en photo, souriantes mais intriguées par ces hommes aux grands pifs qui passent. Nous leur rendons la pareille. Peut être rêvaient-elles d’être servies par ces hommes au gros nez ? Nous leur racontons l’histoire de Cyrano, qui battait quiconque se moquait de son pif. Devant leur air surpris, on leur explique que les blancs, c’est pas toujours galant, même s’il s’agit, comme dans le cas présent, de blancs galonnés.

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Repas et bière

Cette première journée à Hanoï nous aura permis de découvrir, ou de redécouvrir, l’excellence de la nourriture vietnamienne, et ce sera du même niveau pendant tout notre séjour.

L’aliment de base est sans conteste le riz, qui accompagne tous les plats et constitue souvent aussi le plat unique des vietnamiens, ce qui explique leur minceur. Souvent très amoureux de leurs épouses, ils adorent déguster leur riz au lait. Les vietnamiennes, qui chérissent tout autant leurs maris, prennent avec amour leurs boîtes de riz et mettent le riz à laver. Leurs époux vérifient si le riz est bien passé, car il leur faut parfois un bon coup de vin pour faire passer le riz. Et avec l’âge, les vietnamiens ont tendance à devenir avides du riz. Mais même si cette nourriture est frugale, tous n’ont pas la chance de manger à leur fin, comme l’illustre l’histoire de cette pauvre fille qui avait volé tant de riz.

Un autre aliment de base est constitué par les pâtes. C’est aussi une institution, et nous avons en mémoire ce restaurant où, dès l’entrée, une belle cocasse soupesait les nouilles des clients. Et ce sacré Zée, aux petits soins pour Mèmère, qui lui demandait « Est-ce que t’aimes les nouilles qui collent(6) ? ».

Les jours de fête, ces mets de base peuvent être agrémentés de protéines. Pour la fête du Têt, souvent les nouilles cuisent au jus de cane, ou en d’autres occasions, le cuisinier propose aux dames une mangue à la lotte. Dans les grandes occasions ces mets peuvent être accompagnés de nids d’hirondelles, pleins de verdures. Mais ces herbes sont souvent bien modiques et sans goût, les vietnamiennes préférant les herbes à l’eau. Chiens et chats ne sont pas que des animaux de compagnie, et on sert parfois une spécialité : les cailles aux choux. On a eu la chance de voir un cuisinier préparer une tourte aux cailles, mais comme il était maladroit, il se blessait souvent quand il embrochait une caille et s’écriait « Ouille ! »(7). Il vaut mieux cependant ne pas mettre son nez dans les cuisines, car on a vu une fois le cuisinier qui se réjouissait d’avoir un canard sur le feu. Devant ce manque d’hygiène, pas étonnant qu’après ce canard sente le coca ! Et les spécialités peuvent être quelque peu ragoûtantes, comme cette serveuse qui nous proposait une buse à l’anis.

On a eu aussi la surprise de découvrir quelques produits originaux, un peu gélatineux. On cherchait à deviner quels étaient les composants : « gélatine pannée », dit l’un, et c’était vrai, après ce long voyage en bus ; « gélatine pré-salé », dit un autre, originaire du Mont St Michel, qui se souvenait de ses bains de mer.

Une fois n’est pas coutume, on nous présentera quelques belles frites. Découpées avec art, ces frites étaient biseautées. De même, les vietnamiens ne connaissent pas le fromage, mais un soir on nous servira une portion de Vache qui rit. Une vache qui rit au Vietnam, c’est fou à lier !

Tous les soirs, nous sommes servis par de charmantes et mignonnes vietnamiennes. Seule critique, minime il est vrai : ces soupers manquent de pain. Pourtant, le long de la route, on rencontre de nombreuses échoppes proposant des baguettes ; un souvenir de la présence française. A la demande générale, Lam arrête le bus et en achète une pour nous faire déguster. A tour de rôle on se fait prêter la baguette. Comme on passe devant une usine Lafarge, certains trouvent que ce pain sent le ciment. C’est sûrement psychologique.

Nous faisons très rapidement des progrès en vietnamien, en découvrant nos premières bières vietnamiennes : bière se dit bia (prononcer bi-a). Alors que le serveur nous présente une grosse frite dans son bock, nous restons bêtes devant cette bia. Comme Lam nous demande quelle est l’eau préférée des vietnamiens, Baba, expert en la matière – le Baba – levé, répond sans hésiter « La Badoit »(8). Erreur, l’eau de là, curieusement, s’appelle « La Vie », encore une réminiscence de la présence française.

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Le lendemain, nous partons de bon matin pour la baie d’Halong. En vietnamien, halong signifie le dragon qui plonge, tous ces rochers évoquant les écailles d’un dragon ayant plongé dans l’eau ! Le poète à l’origine de cette légende, qui devait abuser de l’opium, était en admiration devant un chou de race et alors qu’il croyait voir un dragon, il avait tout simplement les yeux fixés sur l’écaille du chou.

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Histoire ancienne du Vietnam

Lam met à profit nos longs voyages en bus pour nous délivrer quelques commentaires sur l’histoire du Vietnam, telle qu’elle lui a été enseignée, et sur le mode de vie des vietnamiens. Mais la technique n’est pas toujours fiable, et des parasites venaient souvent nous brouiller l’écoute. Parfois, on a dû lui reprocher sa panne de micro, mais il n’a pas pour autant coupé une partie de la leçon.

Le pays fût longtemps sous la domination de puissances étrangères, à commencer par la Chine, toute proche, qui s’imposa pendant tout le premier millénaire. Le Vietnam en a hérité l’écriture et les grands courants de pensée : bouddhisme, taoïsme, confucianisme. Mais aujourd’hui, en particulier au Tonkin, qui en est tout proche, il y a encore des pauvres paniqués par la Chine. Les tonkinois sont inquiets de voir la Chine à leur porte, d’autant qu’on voit souvent des troupiers près de la Chine. En 1979 encore, ils ont dû supporter à nouveau le poids de la Chine, alors que quelques années plus tôt ils avaient déjà subi le choix des nippons. Mais, devant la pugnacité des combattants vietnamiens, la Chine s’était retirée après 17 jours de combat seulement.

Après ce premier millénaire sous domination chinoise, il s’ensuit une histoire mouvementée, avec de nombreuses dynasties. La dernière en date, au 19ème siècle, est celle des Nguyën, dont le 1er empereur, qui se fait appeler Gia Long, passera à la postérité. Sous leur règne, Hué, la capitale, se couvre de somptueux palais, car les Nguyën (se prononce nouine) ont horreur des gueux.

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La guerre d’Indochine

L’épopée de la France au Vietnam commence en 1847, lorsque les militaires français débarquent à Danang pour protéger les religieux, persécutés par les successeurs de Gia Long. Trente ans plus tard, la France occupe tout le territoire vietnamien. Malgré les actions positives de Paul Doumer, les indigènes vivent dans un grand dénuement et Ho Chi Minh s’impose à la tête des patriotes vietnamiens, qui luttent contre les colons, pas toujours bien branchés. Il fonde le parti communiste d’Indochine puis la Ligue d’indépendance du Vietnam, le Vietminh, et après une période troublée proclame l’indépendance de la République démocratique du Vietnam, en septembre 1943. Le bombardement de Haiphong par les français marque le début de la guerre d’Indochine, qui durera 8 ans. Lam nous parle avec émotion des charges viètes, mais il restera plutôt discret sur le conflit ayant opposé la France et le Vietnam. A peine citera t’il quelques fois, contrepèterie involontaire oblige, la piste Ho Chi Minh, qui a laissé tant de mauvais souvenirs, aux français comme aux américains. A un contrepèteur qui lui demandait si c’était une piste indigène, il répondit par l’affirmative, sans comprendre le sous-entendu, ses prédispositions étant quand même limitées. Mais Lam continue sa leçon : en plein conflit, installé dans la clandestinité, l’oncle Ho contrôlait la résistance depuis une grotte au nord de Cao Bang, tout près de la frontière chinoise. Il avait eu le choix entre plusieurs grottes, et avait choisi la plus petite, où il subsistait avec une jeune tonkinoise. Jamais il ne regretta d’avoir retenu cette grotte, très menue, car il trouvait qu’une telle grotte recelait des masses insoupçonnées. Et quand on lui proposait de rejoindre la grotte plus spacieuse, ou une forte femme l’attendait, il s’exclamait « Ah ! Non ! L’autre grotte, éléphantesque ! ». Sa petite tonkinoise, dévouée, aimait bien lui faire un papier, à tonton.

Quand il était interviewé sur son surprenant succès face aux forces françaises puis américaines, HCM déclarait simplement que dès le début il était prêt, avec le peuple vietnamien, à faire face à des dures luttes, et c’était tout. Il s’était adjoint un chef de guerre, le général Giap, qu’il appréciait pour son efficacité et parce qu’avant de prendre les armes, il avait un beau métier : professeur. Puis il expliquait sa doctrine : « Je passe en douceur de la crête à l’abîme et de suite je fuis dans la sente, suivi par des milliers de coolies ». Et il ajoutait qu’avec l’entraînement et un peu d’efforts, ils arrivaient même à pied par la Chine ! Ses coolies ne bénéficiaient pourtant que de courts sommeils, mais il leur accordait quand même, en guise de récompense, d’escalader quelques buttes pleines de pierres. Après ça ils pouvaient se reposer avec un bon branchage sur les lattes.

Malgré ses amitiés soviétiques, il n’a jamais été question, pour Ho Chi Minh, d’annexion par les russes. Pourtant, un jour, Brejnev l’embrassa à la russe, quel honneur ! Oncle Ho, avec Giap, se demanda si Brejnev ne pourrait pas se joindre à eux et faire le 3ème larron, car il savait que pour mener une dure lutte, il faut être à trois. Mais le projet échoua, même si les russes étaient toujours en fête.

Cette guerre meurtrière se terminera par la capitulation de la France après la défaite de Dien Bien Phu, en 1954.

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La guerre du Vietnam

Lam, dans ses commentaires, s’étend plus volontiers sur le conflit qui a opposé le Vietnam aux États-Unis. Après la défaite de la France, les accords de Genève, en 1954, ont scindé le Vietnam en deux, au niveau du 17ème parallèle. Les communistes de Ho Chi Minh occupent le nord, le sud étant gouverné par l’anticommuniste Ngo Dinh Diem, mis en place par les américains. Alors qu’Ho Chi Minh souhaitait réunir les deux Vietnam, les américains voulaient à tout prix bloquer l’expansion du communisme en Extrême Orient et ils s’étaient donc fixé comme objectif de mettre des bornes à l’union. Ils considéraient, mais l’histoire leur a donné tort, qu’il fallait s’inspirer des deux Corées et de l’union des Corées. En 1955 Diem s’autoproclame chef de l’État du Sud Vietnam. De son côté, Ho Cho Minh, en 1960, crée le Front de Libération Nationale, ou Viet-Cong. Diem et l’armée sud vietnamienne bénéficient d’un important soutien des États-Unis, et à chaque fois qu’il les évoque, Lam les qualifie de fantoches. Ont-ils eu eux aussi à lutter contre les basques ? Les hostilités s’amplifient, mais bombardements, déforestation, pacification ou évacuation de villages sont des échecs. Le général Giap, invaincu dans ses combats contre les français puis contre les américains, tirait son plan avec beaucoup de ganaches. Il excellait dans l’organisation du ravitaillement en vivres et munitions, mettant en œuvre des milliers de coolies qui enfilaient des sentes sans fin. Au début des combats, il cherchait à impressionner l’ennemi, en donnant comme consigne : « Tirez beaucoup, vite, en l’air ». Puis il a dû changer de tactique, les douilles étant coûteuses. Quand on lui demandait des précisions sur ce problème logistique, il répondait, l’air inspiré : « Les cartouches, les douilles, … ». On n’en saura pas plus, mais les experts se sont demandé si ce n’était pas un problème de couleur des douilles. Même les femmes combattaient, et s’il avait eu un conseil à donner à ses ennemis, Giap aurait recommandé « Redoutez nos guerrières ! ». De fait, leurs troupes étaient bien cachées. Dans ses périodes de doutes imprécis, lorsqu’il s’inquiétait de la débandade de ses troupes, Giap pestait contre les combattants américains et s’écriait « Oh, marines ineptes ! ».

Après plusieurs années de conflit, le président Nixon, qui commençait à prendre conscience que la stratégie des Etats-Unis, en référence à la Corée, était une erreur, avoua lors d’un discours officiel « Ce cas de Corée me turlupine ». Puis c’est le début de la fin : en janvier 1968, les Viet-congs lancent l’offensive du Thêt, attaquant par surprise une centaine de villes du sud. En 1969 Nixon décide de quitter le Vietnam, et en 1975 les villes du sud s’effondrent et le Viet-cong entre dans Saïgon. L’état est réunifié sous le nom de République socialiste du Vietnam.

Lam, qui ne doute pas de ce qu’il a appris à l’école, nous déclare qu’à la réunification du Vietnam, les gens du sud et du nord s’entendaient bien. Il fait fi de l’épisode tragique des boat people, qui a montré que les femmes, en particulier, se faisaient dénoncer quand elles s’enfuyaient.

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Les premières années de cette jeune république furent marquées par un régime communiste très dur. Mais à partir de 1990, la désintégration de l’URSS favorise l’ouverture du Vietnam au tourisme et au commerce, ainsi que les réformes économiques. Il y a malheureusement très peu de riches mondes au Vietnam, qui fait encore aujourd’hui partie des pays les plus pauvres de la planète. Mais le dynamisme de ses habitants, que nous avons pu constater, lui confère une croissance des plus rapides.

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Voyage jusqu’à la baie d’Halong

Entre deux discours de Lam, notre bus s’arrête le long du trajet qui nous mène à la baie d’Halong, pour une photo typique : un couple de vietnamiens qui irriguent leur rizière avec un récipient accroché à deux liens, qu’ils balancent ensemble. On s’approche, et on constate  qu’en matière d’irrigation, c’est presque aussi efficace que d’être branché à l’eau.

Sur la route on croise ou double de nombreuses mobylettes, avec parfois de curieux chargements. Les conducteurs ont l’air gai, et avec de telles mobs on pourrait les croire au zoo. Ils transportent d’énormes cages avec des cochons(9), des poulets, des chiens, et même parfois un buffle vivant, attaché sur le porte-bagages.

Lam nous précise que si la route est noire, c’est parce qu’il y a beaucoup de camions qui transportent du charbon. Les vietnamiens préfèrent exploiter leurs propres mines, plutôt que de continuer à importer des houilles kabyles. Mais c’est difficile, et on voit bien que c’est leur mine qui les peine.

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Arrivée et séjour à Halong

Nous arrivons enfin à Halong. « Rendez-vous dans la baie ? », demande le service d’ordre à notre guide. Il y a foule, et l’accès à la baie nécessite d’observer les rites en vigueur.

L’eau est sombre, rougeâtre. Normal, on est au débouché du Fleuve rouge. Le découvreur d’Halong, il y a fort longtemps, voyant sur la plage une jeune fille dévêtue, se serait exclamé : Oh ! La baie rouge ! Est-ce pour une raison de couleur qu’un dénommé Rouget, de Lons, qui en fait comme chacun sait était né à Lille(10), grand joueur de foot, était venu à Halong pour le mondial de 1792, accompagné par un lointain ancêtre de Zidane, déjà surnommé Zizou. Alors que celui-ci, amateur de courses automobiles, l’entreprenait avec ses problèmes de bolides italiens (je crois qu’il était question de Masérati(11)), il entendit, subjugué, une mélopée qui venait des fenêtres d’une école de chant : « Halong, enfants de la patrie, hii, heu, … ». De suite il coupa là Zizou, net(12). « Ça y est, je l’ai, mon hymne » se dit-il. Rouget, moderne, révolutionnaire et polyglotte, décida immédiatement : je l’appellerai « L’anar say yes », se dit-il, inspiré par la muse. Et notre hymne était né !

Le monde se presse à l’embarcadère. Avec toutes ces jolies asiatiques au teint cuivré, on se croirait sur un quai de bronze. Mais des traces de bitume nous interpellent : c’est curieux, ce goudron sur le quai ! La pollution est partout. La zone portuaire est encombrée de jonques pour touristes, et le quai est bien long. Devant la concurrence, les bateaux sont condamnés à des dures luttes. On attend une minute sur le quai et enfin, on nous fait mander à bord. Nous partons donc rejoindre notre jonque à l’aide d’une navette.

Une fois à bord, un verre de bienvenue nous est offert. De jeunes tonkinoises font goûter leur vin aux voyageurs que nous sommes : un vin blanc de Dalat, fort bon. Les dames apprécient le goût de ce blanc. Une d’elles, sans doute peu habituée aux libations, est grisée par ce coup de blanc. Lam, qui fait son travail, se régale d’un coup de blanc au goulot. Et comme il y prend goût, il remet ça avec un coup de blanc sur le gâteau.

Pendant le repas pris à bord, on peut admirer la baie. Quelle beauté de site ! 3000 îlots granitiques qui se dressent sur la mer de Chine. Impossible de distinguer la cote des monts, tellement ils sont nombreux. Les baies ne manquent pas où les touristes peuvent mouiller, laconiques. Mais les blocs karstiques sont un peu dans la brume. Les monts sont nombreux, mais pas faciles à compter.

L’après-midi la navette nous emmène vers un village installé sur pilotis dans la baie, avec une zone consacrée à la culture d’huîtres perlières. De retour à la jonque, nous avons droit à la présentation d’articles à vendre, en particulier des perles … Nos épouses ont l’impression d’être tombées sur une mine de perles.

Le lendemain, le brouillard s’est levé. « Oh ! Les formes naissent », s’exclame t’on en découvrant ce spectacle. On voit même la rue du quai avec une grande netteté. Sûr, précise un médisant, qui connaît le Maroc, c’est bien mieux que la baie de Rabat ! Puis nous reprenons la navette pour aller visiter la grotte de la débandade, comme l’a baptisée Tramu au vu d’une stalactite en forme de phallus. Eternel problème : comment différencier une stalactite d’une stalagmite ? Peut-être avec ce moyen mnémotechnique : les stalactites tombent dans l’abîme, mais on risque de s’y perdre … Quelques minutes plus tard, notre clan est dans la grotte. Question sémantique : s’agissant des membres de la promo 66, doit-on parler de clan ou de groupe ? En poursuivant notre chemin sous terre, on traverse le rocher et on débouche sur une vue à couper le souffle : une belle mer, entre deux pins. Nos épouses apprécient l’odeur des pinèdes, même si c’est pas trop logique.

Nous retournons au bateau et entamons une longue ballade dans la baie. Le temps est très clair, c’est superbe. On se la coule douce sur le pont supérieur, avec des chaises longues. Tranquillos, Zée prend son Canard –enchaîné - sur le pont. Serait-il maso ? Au loin, certains rochers font penser à des pentes marines.

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Route vers Ninh Binh

La croisière terminée, nous prenons la route pour Ninh Binh. Nous découvrons des rizières à perte de vue. Lam nous explique que les variétés de riz cultivées sont exclusivement vietnamiennes. Les hollandais avaient essayé d’introduire leur riz batave, mais ils se sont fait refouler.

Nous nous arrêtons à nouveau pour photographier deux vietnamiens en train d’écoper de l’eau pour irriguer, avec un système différent du précédent. Pour ce faire, on s’avance sur une diguette, mais Bernard(13) glisse, non pas dans la piscine, mais dans la rizière. De la boue jusqu’aux genoux, il est obligé de quitter son pantalon, et ce n’est pas les dames alentour que ça dérange. Heureusement, Bernard sait prendre les choses en riant. J’ai tendance à croire que si, à sa place, une de nos épouses était tombée, nous aurions été plusieurs profiteurs à nous exclamer « Quelle chute fameuse ! » où bien « Ça c’est la chute ! ».

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Ninh Binh et la baie d’Halong terrestre

A proximité de Ninh Binh, plus précisément de Hoa Lu, notre hôtel est au pied des rochers de la baie d’Halong terrestre. Avant le dîner, Lam nous organise un apéritif avec vodka vietnamienne et jus de fruits. Les esprits s’échauffent un peu et nous en profitons pour ouvrir Lam à la contrepèterie : comme certains ont leur batterie d’appareil photo à plat, c’est l’occasion de lui expliquer la différence entre des boîtes de piles et une boîte à piles, en précisant que dans tous les cas nos épouses seront heureuses s’il leur présente une pile bienvenue. Les signes ne nous avaient pas trompés, il accroche.

Le lendemain matin nous partons pour un tour du village en char à bœufs, conduits par des paysans, à pied, qui caressent avec douceur le cou de leurs bœufs. C’est humide, et ces bœufs sont un peu noueux. C’est amusant, mais on ne sait pas où se situe l’attraction : est-ce les indigènes que l’on croise dans les ruelles, et qui nous font fête, ou est-ce nous, bêtes curieuses que l’on promène ? Sur la fin de la promenade, les paysans sont rejoints par leurs compagnes et bientôt les charrettes sont sur la butte.

A l’issue, nous repartons pour une promenade en barque dans la baie d’Halong terrestre. Les paysages, cachés partiellement par la brume et les nuages, sont tout aussi grandioses que dans la baie d’Halong maritime. On rejoint une grotte qui a été occupée par des soldats viets pendant la guerre contre les Etats-Unis. Sur les sommets des rochers, on peut deviner quelques singes qui sautent de branche en branche. On nous dit que quand il fait beau, au village, les linges sèchent et mouillent les cordes.

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En route vers Vinh et séjour

Nous prenons à nouveau le bus pour une longue route jusqu’à Vinh, avec un grand détour sur une route en très mauvais état pour aller visiter la cathédrale en bois de Phat Diem. Cette cathédrale est superbe, avec d’énormes piliers en bois de fer, importés du Laos. On a souvent tendance à dire que les athées n’apprécient pas le béton, mais les catholiques(14) ont construit là une église écolo avant l’heure. Nous arrivons en plein milieu d’un office religieux, et nous profitons d’un long moment de recueillement pour admirer l’édifice. Pendant ces instants de silence, je me dis que si les abbés se taisent, c’est peut être pour éviter que les athées se battent. Puis le prêtre vietnamien commence son sermon, et comme il avait la parole, je l’entends déclarer à ses paroissiens, sur un air que je pensais reconnaître, tout au moins au début « Mes bien chers frères, mes bien chères sœurs, répétez avec moi tous en cœur : n’allez surtout pas à la messe sans foi ». En pleine rêverie, mon esprit vagabond avait contrepèté tout seul et traduit la recommandation, et je me dis aussitôt que le prêtre était fou. En fait, mes oreilles m’avaient trompé : le prêtre s’exprimait en vietnamien, et remerciait ses ouailles – dont quelques anciennes, folles de la messe -  qui venaient de lui offrir un ordinateur pour son 54ème anniversaire et ses 31 ans de sacerdoce. Après l’office, la discussion se prolongea quelques moments entre le prêtre et la promo 66. Interrogé sur les difficultés rencontrées par les catholiques pendant la guerre, il répondit par un message de paix « Les cathos atténuaient les dures luttes ». Un jeune diacre, qui s’était mêlé à la conversation, nous avoua qu’il avait toujours rêvé de se voir en curé, avec une calotte. Son parrain, un vieil abbé, nous déclare qu’il s’est fait mal entendant. Et la magie du lieu donna la sensation à certains de voir surgir, entre deux piliers, l’américain bien tranquille du roman de Graham Green, qui se déroule en partie dans cette cathédrale. Il paraît qu’à la sortie du roman, l’évêque en poste aurait dit à l’ambassadeur du Royaume Uni : Ah ! Votre Green, quel pendard !

Inlassables routards, nous reprenons la route. Les dames commencent à être quelque peu irritées, car elles trouvent que le car est trépident. On traverse un village avec une petite colline. Lam nous explique que des soldats viets, chargés de protéger un pont qui permettait l’acheminement de trains de ravitaillement destinés à l’armée viète, se sont fait tuer par des bombardements US, et il ajoute que les américains ont fini par casser le pont, confirmant ainsi ses prédispositions pour la contrepèterie

Du bus, Lam attire notre attention sur un couple avec une remorque chargée de feuilles de tabac, apparemment assez lourde, et précise que traditionnellement l’homme traîne et la femme pousse. Encore une preuve de ses dons innés. Ce spectacle nous rappelle un vieux proverbe franco-vietnamien : « Quand charrette(15) passe, charrue passe aussi ». On s’arrête pour regarder de grands carrés de tissu recouverts de tabac finement haché, en train de sécher au soleil, sans trop s’approcher car on sait que l’abus du tabac est mauvais pour la bronche. Ce village est spécialisé dans la fabrique des pipes à opium, les vraies, pas celle pour la décoration. Ces pipes sont toujours fabriquées et vendues, mais pour fumer du tabac, l’opium étant bien sûr interdit. On regarde néanmoins autour de nous s’il n’y aurait pas quelques turcs amateurs d’opium, au cas où nous puissions prendre notre thé avec des opiomanes. A défaut, nous nous installons en terrasse et nous contentons de prendre notre thé entre deux piétons.

Nous arrivons à Vinh, ville de 300.000 habitants, berceau d’Ho Chi Minh. Nous dînons à l’hôtel, dans une grande salle avec un autre groupe de français, mais surtout un groupe d’asiatiques ayant participé à un rallye Toyota. Quelques thaïlandaises, charmantes, nous servent de la musique et des chants locaux, bien agréables. Mais l’animatrice est forte en gueule, et le bruit assourdissant. Notre repas se déroule dans une ambiance désagréable, d’autant que pour bien dîner, il vaut mieux être peu. Lam va se plaindre, mais n’arrive pas à faire baisser le son. En dédommagement, on a droit gracieusement à un verre de vin rouge et un petit verre de vodka d’Hanoï. Certains auraient préféré que notre guide, lamentable, ne se soit pas laissé acculer(16).

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Départ vers Hué

Le 23 mars, nous empruntons la route Mandarine en direction de Hué. Nous cherchons en vain les mandariniers. En fait, elle est ainsi nommée car elle était empruntée par les mandarins. Les anciens d’Indochine l’identifient comme la belle route nationale de l’ex-colonie. Lam arrête le bus le long de la route pour une nouvelle photo typique : un paysan, avec son chapeau pointu, tranquillement assis sur son buffle en train de brouter. Tout près, un rassemblement attire notre attention : c’est un groupe de politiciens qui s’intéressent à un troupeau de superbes zébus. Nous en profitons donc pour photographier aussi l’élite des zébus(17). Mais attention les odeurs, car tout près on devine un zébu qui sent l’anis.

Pour déjeuner, nous nous arrêtons à Dong Hoi, dans un hôtel de luxe au bord de la mer de Chine, le Sunspa Resort. Le site est superbe, sur une immense plage bien aménagée, et déserte. Aux formes des jeunes serveuses, notre Tramu, expert en la matière, constate que nous avons quitté le Tonkin et rejoint l’Annam. Quelque peu ému, il avoue qu’il mettrait bien le feu à l’Annam. Une façon de se rattraper, puisqu’il n’était pas du voyage en Chine, et n’avait donc pu mettre avec nous la Chine au pas.

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Les tunnels de Vinh Moc et la DMZ

Chemin faisant, on s’arrête à Vinh Moc, pour visiter les tunnels où des familles ont vécu pendant les bombardements US. Cette zone, qui était utilisée pour l’approvisionnement du Vietminh, a été la plus bombardée du Vietnam, au point qu’en 1966 les habitants ont creusé des tunnels et ont vécu sous terre pendant 5 à 6 ans. Ce réseau était équipé de puits, de cliniques, et d’une maternité ou sont nés 17 enfants. Seuls 10 ont survécu, mais atteints pour la plupart de malformations dues à l’agent orange, déversé par les États-Unis comme défoliant. Cet agent orange serait à l’origine de mutations. C’est ainsi qu’après le départ des américains, des mutants ont pu montrer leurs bizarres phalanges aux russes, et que des jeunes filles étaient à la recherche d’improbables robes à losanges. Un des enfants survivants, de toute évidence handicapé mental, est venu nous saluer à la sortie des tunnels.

Nous arrivons ensuite à la zone démilitarisée (DMZ). Suite aux accords de Genève en 1954, la frontière entre le nord et le sud a été fixée au 17ème parallèle, qui longe la rivière Ben Hai. Un monument glorifie la séparation des familles entre nord et sud, qui durera jusqu’en 1975. La réunification verra le rapprochement des familles et l’augmentation des naissances : sûr que l’effet de l’union a été tout à fait tonique.

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Arrivée et séjour à Hué

Hué, le 24 mars, après le petit déjeuner, on embarque sur un sampan pour touristes, et on part pour une balade sur la Rivière des parfums, ainsi nommée car elle était bordée de frangipaniers blancs, très odorants. Très vite, l’aspect commercial propre au tourisme de masse se précise : la maîtresse de maison et sa mère nous présentent leurs affaires. Il ne s’agit pas de lentes affaires. Au centre du bateau, les nippes sont bien posées, et contre toute attente, très vite les ventes sont fastes. Le symptôme est clair et net : nos femmes sont atteintes de la fièvre acheteuse, c’est fou !

Après la balade et les achats, on va visiter la Pagode de la Dame céleste, sanctuaire bouddhique au bord de l’eau, érigée en 1601. Haute de 7 étages, il y a une statue de bouddha à chaque étage. On y rencontre des bonzes, dont un casqué. On trouve ça bizarre, le goût de ce bonze ! En plus, ses galoches de bonze sont apparentes. Marc(18), intrigué par ce moine, s’approche et remarque près de lui des bonzesses, qu’il devine armées. Habitué de ces situations, lors des opérations extérieures auxquelles il a participé, Marc essaye de nouer une conversation, car il apprécie les bonzesses en guerre. Un peu plus loin, on aperçoit une bonzesse en train de manger un sandwich au fromage. Les hollandais ont dû passer par là, car le fromage en question est du gouda. Lam nous explique que ce n’est pas étonnant, car les bonzesses adorent le gouda, et plus spécialement le blanc du gouda. Il nous rappelle aussi l’époque où les bonzes s’immolaient pour protester contre le traitement que Diem leur réservait. On a ainsi pu voir sur le site l’Austin dans laquelle un bonze s’était immolé en 1963 à Saïgon. Diem prétendait que tous ces bonzes étaient des gueux. Il n’avait cure des immolations, déclarant volontiers, avec cynisme, que ces denrées ça se brûle ! Mais les moines, à cette époque, ne badinaient pas avec leurs rites. Cette vague de suicides avait provoqué la pitié des moines.

Ensuite nous retournons vers le bus pour une visite du mausolée de l’empereur Minh Mang, au sein de la Vallée des tombeaux, à quelques kilomètres de Hué. Les sépultures des empereurs Nguyên y sont regroupées. Notre visite se limitera à ce mausolée, le plus majestueux, en excellent état. La légende veut que cet empereur disposait de 300 concubines, et passait chaque nuit avec 3 d’entre elles. Parfois 2 seulement, précisent les historiens, car il estimait que l’amour c’est tout quand on est adroit. Pour faire face à ses obligation, il buvait un vin mis à macérer avec du ginseng et un serpent venimeux, censé avoir des vertus aphrodisiaques. Son nom a été donné à ce type d’alcool, toujours en vente au Vietnam. Lam nous suggère de passer outre la visite du mausolée de l’empereur Tu Duc, prévue au programme. De forme octogonale, et pour cette raison surnommé l’écrou à Tu Duc, ce mausolée est en moins bon état que le précédent et sa visite risquait d’être décevante. Nous acceptons donc bien volontiers la proposition, d’autant qu’à la place Lam nous propose de prendre l’apéritif au milieu de la Rivière aux parfums, sur notre sampan.

Sur le chemin du retour, on s’arrête pour voir la fabrication de bâtons d’encens et de chapeaux coniques, avec inscription d’un message à l’intérieur, qu’on peut utiliser comme appliques murales. La légende veut que ce soit ici, après avoir essayé un tel chapeau conique, qu’Einstein ait eu l’étincelle de génie lui permettant de voir le monde conique et d’imaginer la théorie de la relativité.

De retour à Hué, nous faisons un tour de la citadelle en cyclo-pousse. C’est amusant et impressionnant, avec cette circulation dense qui déboule de tous les côtés. Puis on nous dépose à l’embarcadère pour l’apéritif au milieu du fleuve. Il fait nuit, et c’est avec nostalgie, comme au bon vieux temps des retraites aux flambeaux de notre enfance, que nous voyons s’écouler la scène des vœux, selon le rituel organisé par Lam : chacun dépose une petite lanterne allumée sur l’eau du fleuve, en faisant un vœu. Pendant plusieurs minutes on peut voir la ribambelle de lanternes éclairées, qui se promènent au fil de l’eau. Puis nous retournons à terre, pour assister à un spectacle de marionnettes d’eau. Les manipulateurs, cachés derrière un rideau et dans l’eau jusqu’à la taille, actionnent des marionnettes représentant des personnages et animaux de la vie populaire vietnamienne.

De retour à l’hôtel, nous nous préparons pour une soirée « impériale », où nous sommes tous déguisés. Les deux aînés - Couli et Nicole - sont choisis pour tenir les rôles d’empereur et d’impératrice. L’empereur Couli 1er tient son rang à merveille, et d’une voix forte et assurée nous recommande la sagesse, en fonction du vieil adage qui veut que sagesse est source de foi. Mais point trop n’en faut. Se tournant vers Oumou, il avoue publiquement qu’en fait, sagesse est folie. Les autres membres, quant à eux, sont déguisés en mandarins et mandarines. Au cours du repas, les épouses, qui essayent de nous traiter à la baguette, finissent par découvrir les pains aux mandarines. Mais il faut avouer qu’on a un peu l’air de grands enfants attardés.

Le lendemain, on visite la Cité impériale. C’est le cœur de la citadelle, qui a été développée à partir de 1800. Elle est entourée par 10 km de remparts à la Vauban, et a été fortement touchée pendant la guerre contre les américains, à l’occasion de l’offensive du Têt.

Mais à peine sommes nous installés dans le bus qu’il commence à tomber des cordes. Les indigènes réagissent diversement. Ainsi, une annamite gémit sous l’averse ; elle s’est fait mouiller, la sotte. Mais une autre, plus philosophe, trouve que l’averse est joyeuse. Ces réactions opposées nous font ressentir l’étrange de l’averse. Mais pour nous, occidentaux, comment gérer l’averse ? Lam, plein de ressources, nous emmène tout simplement acheter un poncho.

On démarre donc la visite sous une pluie battante, en pénétrant dans la Cité impériale par la porte sud, flanquée de 9 canons. Devant l’esplanade, se trouve le joyau de la Cité : le Palais de l’harmonie suprême, avec une toiture soutenue par 80 colonnes dorées et laquées, et au centre le trône impérial. Pour l’heure, une dame bien en chair s’y est installée, et on peut ainsi admirer le fond de ces forteresses. On regrette par contre qu’il n’y ait aucune possibilité de boire un coup ou de bouffer, dans ces forteresses.

Le vent siffle, et on s’abrite un moment sous une toile. On entend une vietnamienne s’exclamer : quelle bête bise, j’en ai froid sous la tente. Nous pensions que c’était une question, et nous sommes incapables de lui répondre. Une journaliste, en train de prendre des notes, se retrouva trempée sous l’averse alors qu’elle rédigeait. Et en attendant que la pluie cesse, nous sommes restés un moment assis sur un banc, bien à l’abri, et nous avons même un peu tardé sur le banc. Mais ça a fini par être embêtant que la bise souffle jusqu’au banc. Et la pluie s’étant calmée, nous sommes repartis pour visiter le Pavillon de la splendeur, ou se trouvent neuf urnes en bronze, dédiées aux seigneurs Nguyên. Elles sont énormes, ces urnes, et très balaises. Lam nous explique qu’il ne faut pas les confondre avec de simples coupes de bronze. Nous avons pu observer avec curiosité un annamite auquel sa compagne, avec une poussette, roulait un petit bébé près des urnes.

Dans l’enceinte de la Citadelle, on nous montre une exposition d’armements récupérés après la guerre contre les américains, dont quelques blindés. Devant ces énormes tanks, les dames sont toutes contrites. La pièce maîtresse, de bonne taille, était semble t’il, le char d’un général d’armée. Avant d’abandonner son engin, ce général se serait retourné vers les chars, entourés de viets, et se serait écrié « Je vous emmerde, tanks adulés », à l’instar de Cambronne lançant son « Merde » aux anglais. Ce général était certainement issu de l’arme blindée-cavalerie, car il en connaît des culasses. Les viets, qui avaient pris possession des blindés, se bidonnaient en astiquant leur char. Et aujourd’hui, au pied de chaque blindé, un petit panneau explicatif précise les conditions de la prise de guerre. Ainsi, chaque char a sa date. Le conservateur de la cité impériale veille au bon entretien de ces matériels et fait tout pour éviter le dommage des chars. On l’a entendu tancer vertement une jeune fille qui dansait le twist sur un blindé « Ne vous tordez pas sur mon char », lui cria t’il.

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Route vers Hoï Anh

A la fin du repas, on part en direction de Hoi Anh, toujours par la route Mandarine. Il fait encore un temps pourri, et on n’emprunte donc pas le col des nuages, mais un tunnel récent.

On s’arrête à Da Nang, anciennement Touranne, pour visiter une taillerie de marbre et de jade. On peut y admirer de superbes pièces, ainsi qu’une sculpture traditionnelle au Vietnam - l’hirondelle de jade - créée en souvenir de Gide, qui aurait fait un séjour sur place. Ces statuettes sont tellement réalistes qu’on croirait voir passer l’hirondelle !

En arrivant à Hoï An, nous visitons d’abord un centre d’élevage de vers à soie et de confection. Une jeune ouvrière lave ses nappes une fois qu’elle a tissé. En général, elles tissent en plusieurs passes, et certaines, d’une santé un peu fragile, tissent en poussant. Plusieurs membres de la promo se font tailler un costume, mais ici le tailleur ne vend pas de la serge, comme chez nous ; il travaille uniquement la soie. L’un d’entre eux est spécialisé dans les vêtements religieux ; il taille des fripes à tous les pères. Un autre travaille uniquement pour ses collègues et taille des fripes à ses compères.

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Séjour à Hoï Anh

Hoi Anh est un ancien grand centre maritime et commercial, où les occidentaux et les asiatiques venaient charger faïences, thé, sucre, nids d’hirondelle, soie. Au 19ème siècle la rivière s’est ensablée et l’activité est tombée. Mais Hoi Anh est restée telle qu’elle était, ce qui fait son charme.

Après l’installation à l’hôtel, Lam nous organise un apéritif chez un « particulier », en face de l’hôtel. Cela devient une habitude, mais il faudrait se méfier, car l’habitude pourrait devenir pas trop logique. Le local du particulier est en fait une grande pièce qui sert de magasin, de bar et de maison à la fois, ouverte sur la rue. Bien que les boissons anisées ne soient pas courantes au Vietnam, ce soir là, on entend le serveur qui propose à notre toubib : « Jean-Paul : pastis ? ». « Non », répondit-il, « J’aime pas, ça fait trop pernod ». La vodka vietnamienne avait sa préférence.

Le lendemain matin, 26 mars, nous partons de bonne heure pour une visite à pied de la ville. Le centre de Hoi An, très ancien, est superbe, avec ses rues étroites et piétonnières, ses petites échoppes et ses pagodes. Les rues sont toutes décorées de lampions, illuminés le soir. Nous visitons plus en détail la plus vieille maison d’Hoi An, avec un vieux monsieur à l’air très respectable, qui nous fait la présentation, puis nous déclame un poème de Victor Hugo « Les travailleurs de la mer », avec moult mouvements des bras. C’est aussi et toujours l’occasion de vendre : pendant que des jeunes filles brodent laborieusement, ce vieux monsieur nous présente un peu de nappes.

La visite se poursuit, et nous nous attardons un peu au niveau du pont japonais, en bois, construit en 1593, qui relie les quartiers chinois et japonais. A l’époque, les nippons faisaient bon ménage avec la Chine. Aujourd’hui, il délimite la zone sans circulation. C’est une zone très touristique, et lors de notre passage il y avait carrément un charter de nippons qui posait pour la photo. Pour les vacances, le choix des nippons se porte souvent sur l’Annam, qui leur rappelle de bons souvenirs. Et là, plus moyen de les retenir, les nippons sont lâchés, et les commerçants se frottent les mains devant les achats des nippons.

Nous visitons le marché de Hoï An, pittoresque à l’extrême, impressionnant tellement ça grouille, tellement il y a de marchandises. Comme sur d’autres marchés, on y découvre nombre de fruits et légumes exotiques, mais les poissons et les volailles sont découpés et préparés sur place, par terre, au milieu des allées. Quelques rares femmes un peu fortes nous proposent leur jus de piment, voire même des gamelles de morilles.

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Eco-tourisme

En début d’après-midi, un groupe restreint part pour la visite baptisée un peu pompeusement éco-tourisme. Le tourisme : sûr, l’éco : pas évident. On visite d’abord une école maternelle, où les enfants sont adorables, certains intimidés, d’autres plus dégourdis. Certains jouent dans les pièces du fond. La maîtresse, qu’on voyait laissant faire, les rassemble et ils nous chantent et miment quelques chansons, dont Frère Jacques, que nous reprenons en français. Le guide leur a amené quelques jouets en cadeau. En sortant de l’école, on voit un gars pas très net, qui s’approche des enfants, à côté d’un troupeau de zébus, et essaye de caresser les cornes de petits zébus liés. Sûrement le genre à se délecter avec le fond des rillettes !

Puis nous partons pour le village de pêcheurs. On rejoint un petit bateau dans des barques rondes en jonc, deux par deux, avec un rameur. Il y a une grosse fofolle exubérante qui malmène exprès sa coquille, la fait tanguer et tourner, en criant et chantant « Vietnam, Ho Chi Minh, Moma, Mona, Mona ». Chacun reprend en cœur cette chanson qui doit être un air populaire, sans savoir sa signification.

On se rapproche du lieu de pêche, avec démonstration de lancer de filet par un couple de vieux vietnamiens qui habitent sur le site. Des volontaires font un essai et remontent quelques poissons. Quand c’est le tour de Tramu, il se paye un briquet ! C’est pathologique !

Puis on débarque pour relever le grand filet, un carrelet, à l’aide d’un palan. Mais pas possible de laisser le palan faire, il faut le faire tourner à l’aide des pieds et des mains, au prix d’un gros effort. Tout ça pour ne rien ramener !

Nous revenons ensuite au bus, et partons pour la visite des jardins potagers. Ils sont superbement tenus par des gens qui ne méprisent pas le travail de la terre. Ils se voient attribuer une parcelle de terrain et vendent les produits aux restaurants, ou ils font du troc : un jardinier propose par exemple ses courges à une petite vieille. Un professeur nous montre la bonne matière pour biner. Certains se laissent tenter, et commencent à biner avec une pelle. Un autre, nostalgique de l’ex-Yougoslavie, nous dit qu’il voudrait bien biner, mais avec une serpe. Chaque volontaire sent aussitôt monter son pouls dès qu’il commence à biner. Un peu plus loin, une annamite nous montre comment arroser avec deux arrosoirs à la fois : il lui faut un peu d’eau pour bien biner. Le jardinage est souvent réparti au cours de l’année entre les membres d’une même famille : si l’aîné pense à l’hiver, c’est le cadet qui bine l’été. Mais attention, quand il fait trop chaud, un excès de pierres empêche de bien biner. C’est alors en bêchant qu’à plusieurs ils se livrent au plaisir de la terre.

Le soir, pour changer, un apéritif est encore organisé chez le voisin d’en face, mais cette fois pour la bonne cause : Anne(19) fête ses 60 ans. Gilles est aux petits soins, heureux d’avoir pu proposer un cadre original à sa jeune sexagénaire pour fêter son anniversaire. Il y a moult bouteilles d’alcool - whisky, rhum, vodka – et les esprits s’échauffent. Le refrain « bon anniversaire » retentit à maintes reprises, et on entendait de loin l’effet de nos collations.

Le soir, au retour du restaurant, après cette dure journée, certains ont le droit aux pauses : séance de massage par de jeunes annamites. Elles ne parlent pas un mot de français, mais savent compter. Ah ! Ces masseuses, quelle fête !

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Arrivée à Saïgon et début du séjour

Le samedi 27 mars, nous prenons l’avion à Danang pour rejoindre Saigon. Nous voici maintenant en Cochinchine. Le nom officiel est Ho Chi Minh Ville (HCMV), mais l’ancien nom reste dans le cœur des vietnamiens. Après notre visite en Chine en 2002, certaines épouses, dans le groupe, s’étaient liées d’amitié et attendaient impatiemment de retrouver la Chine de leur copain chinois.

Saigon, c’est la folie furieuse en matière de circulation, avec des centaines, des milliers de mobylettes qui débouchent de partout. L’animation est permanente, les rues sont surpeuplées. On entend sans cesse des exclamations « Oh ! La foule est marrante ! ». Les français l’ont investie en 1859, rasant la citadelle et construisant de larges avenues, de jolies maisons et bâtisses de style colonial. Saigon devient « la perle de l’extrême orient », et c’est pourquoi les saïgonnais ont tous une mine de perle(20). Le mercure est au plus haut, comme disent nos météorologues. Il faut boire beaucoup et faire attention aux coups de chaleur.

En partance pour le delta du Mékong, on s’arrête visiter une église caodaïste. Le décor est surprenant, un peu kitch, avec une touche égyptienne. On a la chance d’assister au début d’une messe, ce qui nous permet de voir que les prêtres, très à cheval sur les cérémonies, ne bâclent pas les rites. Pour eux, les rites semblent un bien nécessaire et sont immuables. Les religieuses, qui participent à la messe, nous donnent la même impression : elles n’aiment pas que les rites bougent. Lam nous explique que le caodaïsme, créé au début du 20ème siècle, est un amalgame surprenant de religions orientales, de spiritisme et de catholicisme. Les adeptes reconnaissent un Dieu unique, et vénèrent des messagers - Jésus, Mahomet, Moïse, Bouddha - et plus surprenant, des guides spirituels dont Victor Hugo, parce qu’il avait, disent-ils, l’entrain de Javert(21).

Lam, avec un brin d’émotion, nous vante la tenue des cochinchinoises, une tunique presque transparente, qui le devient totalement sous une légère ondée. Il semble que ces filles aiment les robes très osées. On en voit quelques unes, mêlées à la foule, et quand on a la chance de croiser des mariées, on peut deviner leurs goûts au travers de leurs traînes.

Arrivés à l’embarcadère, un bateau nous est réservé et la balade sur le Mékong se déroule paisiblement. C’est l’occasion de visiter une fabrique artisanale de caramels à base de lait de coco, puis de faire un tour en barque dans la mangrove de cocotiers d’eau. Le soir, de retour à Saigon, nous avons droit à un superbe dîner-croisière sur le bateau Indochina, avec vue sur les lumières du port de Saigon et animation musicale.

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Visite de Saïgon

Le lendemain est consacré à la visite de Saigon, avec en premier lieu une fabrique d’état d’articles laqués. On commence par une explication et démonstration du laquage à l’ancienne. On voit les artistes qui touillent les couches l’une après l’autre. Parfois, s’ils ne sont pas assez appliqués, le blanc dégouline sur leurs galoches. A l’issue, on est introduit dans la salle d’exposition – et de vente, bien sûr - où on découvre de superbes produits laqués : tableaux, petits meubles, vases, .... On est nombreux à se laisser tenter.

Puis nous faisons une visite du centre ville en bus, et un tour à pied dans le quartier chinois – Cholon – puis dans l’immense marché, qui réunit 65.000 boutiques ! Un ancien de Chalon sur Saône (l’auteur) ne manque pas de s’arrêter devant une boutique dont l’enseigne titre « Le canard de Cholon ». Je ne pensais pas être connu jusque là ! Le propriétaire du magasin en remet une louche quand, au moment où j’allais entrer dans le bus, il vient me présenter un canard dépecé et m’annonce : « Ah ! Voilà le corps du canard ».

Nous faisons ensuite le tour des grands classiques de l’époque coloniale, qui ont fait les beaux jours de Saïgon au temps de l’Indochine, en commençant par la Poste centrale, dont la verrière a été conçue par Gustave Eiffel. Nous nous arrêtons un moment pour admirer la cathédrale Notre Dame, qui date de 1880, construite en briques roses. Puis nous parcourons la célèbre rue Catinat, rebaptisée Dong Khoi, qui était le cœur vivant de Saïgon. On y trouve toujours le Théâtre municipal et le Grand hôtel Rex. Les anciens d’Indochine, qui à l’époque ont profité des délices du Rex, se souviennent tous avec émotion de la scène du Rex. Mais l’âge aidant, les vestiges du Rex ne sont plus pour eux qu’un vœu pieux, et ils ont plutôt tendance à tenir désormais des propos acides sur le Rex. Il y a aussi le glacier Givral, ainsi que le café Brodard, qui était fréquenté par des gueux.

 

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Trajet jusqu’à Siem Reap

En milieu d’après-midi, nous quittons Lam, Saigon et le Vietnam pour rejoindre Siem Reap, au Cambodge. Le voyage est rapide. Un bus nous attend à l’aéroport, avec un guide cambodgien, qui parlerait pas trop mal le français s’il n’avait un accent très difficile à comprendre. L’écriture khmère est de même impossible à lire pour un voyageur occidental, et on ne peut même pas deviner quels sont ces noms de lieux où on nous promène.

Il fait encore plus chaud qu’à Saigon. La climatisation de l’hôtel est poussive et bruyante, mais on ne va pas se laisser emballer par les canicules.

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Histoire du Cambodge

Le guide essaye de nous présenter l’histoire ancienne et récente du Cambodge. A force d’attention, on arrive à comprendre quelques bribes de son discours. L’influence culturelle et religieuse indienne est très marquée. La dynastie khmère est créée en 802 par le roi Jayavarman II, qui émancipe le Cambodge de la suzeraineté de Java et lance le culte des dieux-rois. Les rois se succèdent et chacun marque son règne par la construction d’un temple, à proximité de Siem Reap. Et ça y est, Angkor c’est parti, il manquait juste l’élan(22). Les cambodgiennes admirent volontiers ces palais(23) bienvenus. Mais après quatre siècles de grandeur, c’est le déclin. L’ampleur des grands, c’est fini. Les rois, accompagnés de leur femmes et maîtresses, ne peuvent que ressasser leur chute. Le Cambodge est sous protectorat français en 1863. Il s’ensuit l’épopée pour le moins complexe et troublée de Norodom Sihanouk, qui mis en place par la France, obtient l’indépendance du Cambodge en 1953. Après un véritable imbroglio entre khmers rouges, vietcongs et américains, Sihanouk est destitué et le général Lon Nol prend les commandes de la République khmère. Le Cambodge bascule alors dans la guerre.

En 1975 les khmers rouges, sous la direction de Pol Pot, de son vrai nom Saloth Sar, entrent dans Phnom Penh, et le nouveau régime, le Kampuchea démocratique, déporte les citadins à la campagne, abolit l’argent, ferme les frontières. L’état ne dispose plus d’aucune ressource financière, mais curieusement les khmers rouges ont toujours des fonds pour la délation. Tous les cambodgiens se retrouvent à cultiver le riz, car Pol Pot envoie tous les intellectuels dans la culture. La nourriture était frugale, et si Pol Pot, surnommé numéro 1, refusait de faire la moule au riz, traditionnellement, le numéro 2 prend les bols. Pol Pot s’inquiétait alors en lui demandant « T’as mis tes bols ? ». Les cambodgiens sont surpris par l’agression de son plan : délation dans le faux, violence, paranoïa. Les exécutions sont nombreuses et sommaires, et les fonds de cachots sèment la terreur. Même les femmes pratiquent volontiers la délation. Les khmers rouges trouvent que la délation, c’est fou. Pol Pot a décidé de faire baver l’élite : les minorités ethniques, les intellectuels, les religieux, les bourgeois et les parasites sont impitoyablement massacrés. Il élimine l’élite, car ça le débecte. En 4 ans, près de 2 millions de cambodgiens périront. Des invalides ont réussi à subsister, comme ce cambodgien que nous avons croisé à la gare, amputé de son bras khmer.

Il apparaît très rapidement que la délation ça fait tache. En 1979, les vietnamiens, écœurés, reprennent le dessus. Pol Pot, défait, s’entend dire « Quelle triste mine, Pol ». Il retourne à la clandestinité, et alors qu’il est malade, son médecin confiera à un proche : « Je sens que votre Pol s’affine ». Atteint d’eczéma, il s’occupera tranquillement de sa basse-cour, où une de ses fidèles ramassa laborieusement toutes les croûtes de Pol, avant qu’il ne décède de sa belle mort, en 1998. Cette femme témoignera que ce ballot était en fait un adepte de l’ascèse.

Le Vietnam occupe ensuite le pays pendant 10 ans, puis laisse la place à une force d’interposition de l’ONU. Des élections ont lieu en 1993, Sihanouk redevient roi du Cambodge.

 

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Visite des temples d’Angkor

Le 29 mars, nous commençons la visite des temples d’Angkor. On se croirait en Egypte dans la vallée des rois, tellement les sites funéraires sont nombreux et en excellent état. Angkor fût la capitale des rois khmers à l’apogée de leur empire. Vu l’afflux de touristes dans ces hauts lieux, il est certain qu’on ne voit pas beaucoup de guides chômer.

Les archéologues français, avec l’École française d’Extrême Orient, s’installent à Siem Reap et découvrent médusés ces sites de banlieue. Dès qu’ils aperçoivent le sommet d’un temple, ils sont très excités car ils supposent de suite qu’il y a de drôles de fresques à la base. Pour eux, fouiller, c’est une quête permanente. Leurs collègues féminines s’occupent aussi des fouilles, curieuses. Mais comme leur première réaction a été d’enlever les broussailles, arbustes et racines qui les envahissaient, les édifices sont fragilisés.

Nous commençons le cycle par l’ancienne capitale Angkor Thom, ou Angkor la Grande, ville fortifiée édifiée au 12ème siècle par le plus grand bâtisseur, l’empereur Jayavarman VII. On pénètre sur le site par la porte sud, superbe, avec une tour ornée des 4 visages de Bouddha et du grand serpent Naga. Au sein de cette ville fortifiée, se trouvent plusieurs sites que nous allons visiter. Tout d’abord Bayon, magnifique temple de forme pyramidale. Sur les murs figurent des bas-reliefs très bien conservés, avec en particulier des apsaras, superbes danseuses légèrement vêtues. Nos épouses croient voir aussi des hommes dénudés, et se disent que finalement ces beaux arts sont vraiment le plaisir des Dieux. Puis nous visitons le Baphuon, autre temple du 11ème siècle, en forme de pyramide à degrés. Ensuite nous nous rendons au Palais royal, lieu de résidence du souverain. Sur ses flancs, on découvre la terrasse des éléphants, avec des statues d’éléphants à 3 têtes, puis la terrasse du roi lépreux.

Après une pause, on repart pour la visite du temple de Kravan, du 10ème siècle, avec des sculptures sur briques, où se prépare un dîner/spectacle, dans un site unique. Malheureusement ce n’est pas pour nous, mais le programme annonce la couleur : danses cambodgiennes. « Quelle scène, et quel luxe aussi ! » pensons-nous, en voyant sur l’affiche les danseuses annoncées.

Puis nous visitons le site de Ta Promh, construit dans la forêt. Ce site a été laissé en l’état quand il a été découvert au 19ème siècle, sans contenir la nature qui l’a envahi. On y découvre aujourd’hui de superbes temples avec des lianes et des racines de fromagers qui s’insèrent entre les pierres, mettant à mal la solidité des constructions mais en même temps les consolidant. Les fromagers sont d’immenses arbres ainsi nommés parce qu’un ingénieur avait généralisé l’utilisation de son bois pour la fabrication des boîtes de camembert ! On peut voir une racine de fromager qui ressemble à une paire de fesses, tout près d’une porte. Dommage, la vue du gond est cachée par le fût du fromager et par une paire de caisses. Les arbres retentissent des chants de perruches. On se croirait dans un décor d’Indiana Jones ou du Livre de la jungle.

Le soir, notre dîner est agrémenté par un spectacle de danse et de musique typiques du Cambodge. Les danses célèbrent des scènes de la vie courante ou reproduisent la chorégraphie des danseuses célestes – les apsaras - mi-femmes mi-déesses. Leurs gestes sont d’une grande souplesse. Tout est dans le mouvement des mains et des bras : c’est l’art du bras khmer.

Le lendemain, nous visitons d’abord Banteay Srei, la citadelle des femmes. Datant du 10ème siècle, c’est un petit temple dédié aux femmes. Le temple est superbe, avec des bas reliefs d’excellente qualité, sculptés dans du grès rose. Les apsaras sont particulièrement bien conservées. Ce temple a eu un moment de célébrité quand André Malraux, qui venait d’y dérober deux bas-reliefs, s’est fait prendre alors qu’il cherchait à introduire le produit de ses fouilles dans une paire de caisses. Le policier, qui l’avait interpelé alors qu’il tenait ferme par le bras la statue d’une danseuse, lui avait demandé de lâcher son bras khmer.

Ensuite nous partons pour Angkor Wat. Construit au début du 12ème siècle, ce temple est immense, entouré de douves. Des enceintes successives protègent un édifice central en gradins. Des bas-reliefs, dans un excellent état, couvrent toute la partie basse du temple, sur une hauteur de 2 mètres. Ils représentent certains épisodes des grandes épopées de l’hindouisme, ainsi que des récits historiques à la gloire des rois khmers, et des scènes de la vie courante. On demande au guide si cela représente la réalité. « Oh ! Les fables mentent ! », nous répond-il en admirant la représentation d’une apsara fort dénudée. Mais il reconnaît que les mythes nous façonnent, d’une certaine manière. Les Dieux aussi sont glorifiés, comme dans cette scène qu’on croirait prise sur le vif : on devine une porte, une nymphe céleste ouvre, Brama guette et interpelle son confrère, Vishnou le laid.

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Visite de l’école d’artisanat et du marché

L’après-midi est consacré à la visite de l’école d’artisanat de Siem Reap. On y voit des jeunes travailler le fer blanc, la laque et le bois. On nous dit, assez curieusement, qu’on voit là l’élite des ébénistes. Puis, incontournable, nous accédons au magasin qui présente tous ces articles à la vente. Certains font encore affaire. Nous visitons ensuite le marché, avec de nombreuses échoppes.

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Visite au lac Tonlé Sap

Le 31 mars, dernier jour de notre séjour, nous prenons le bus pour rejoindre le lac Tonlé Sap, le grand lac. Un peu avant l’embarcadère, notre bus doit emprunter un chemin en terre battue très étroit, sur une digue, avec de part et d’autres des maisons de pêcheurs construites sur pilotis. On serre les fesses, et il est certain qu’on méritera d’entrer dans les annales en sortant du bus.

Le confort des maisons est plutôt rudimentaire, mais les enfants sont très souriants et nous font de grands signes. Les adultes et jeunes gens ont plutôt la mine piteuse ; on sent qu’ils n’ont pas la vie facile. Ils habitent des gîtes misérables, mais ne semblent pas souffrir de la faim. Et ils savent garder leur dignité, car l’habitude de la dèche favorise d’humilité.

A l’embarcadère, on est partagé en deux groupes sur des barcasses à fond plat, car le lac n’est pas profond, deux mètres au maximum. Elles sont propulsées par des moteurs poussifs, qui entraînent au bout d’un long bras articulé une hélice qu’il faut régulièrement débarrasser des algues qui se prennent dans l’arbre. L’hélice fait jaillir une gerbe d’eau boueuse. Le lac est à son niveau bas, en cette saison sèche, et la vase de la berge est mouvante. On accède donc au lac en empruntant un long chenal, bordé aussi de maisons sur pilotis.

Des pêcheurs s’immergent pour enlever les branchages de leurs filets ou de leur zone de pêche. Parfois, on devine un bras khmer sur la barge. Et là, quel joli lot, cette petite pêcheuse. Son compagnon l’interpelle « Mets donc la nasse en plus ! ».

Le lac est très poissonneux, car les poissons y trouvent de la nourriture quand le niveau de l’eau monte. C’est pourquoi il est interdit de couper les branches de la forêt immergée, sauf les momisas(24), dit le guide, car les poissons ne les mangent pas.

Au bout du chenal, on arrive au lac, où se trouve une cité lacustre, installée sur pilotis ou sur des radeaux, avec des fûts comme flotteurs, ou sur des bateaux.

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Retour vers Paris et Dijon

Mais tout a une fin. Notre voyage se termine, et nous rejoignons l’aéroport de Siem Reap. Un avion de Vietnam Airlines nous emmène d’abord à Hanoï, puis un autre de la même compagnie, armé par un équipage toujours aussi peu aimable qu’à l’aller, nous dépose le lendemain matin à Roissy. Le voyage est un peu long et pénible. Entre deux courts sommeils, j’entrouvre les yeux qui tombent sur l’écran retraçant notre trajet. Je crois rêver : je vois sur l’écran Addis Ababa. Est-ce un problème de vision ? Non, c’est toujours la même chose qui s’affiche. Est-ce une faute d’orthographe ? Ce serait surprenant. Je finis par comprendre qu’en fait, c’est l’orthographe en langue anglaise de la capitale de l’Éthiopie. Mais mon esprit divague, imaginant l’Addis Ababa, de Sélassié(25), transporté sur un char-bateau, comme c’était la coutume à l’époque. On survole aussi l’Afghanistan, et ces fameux monts de Kaboul. Puis la carte affiche la capitale de l’Égypte, qui en anglais s’écrit Cairo. Comme nous avions pu voir, lors de notre voyage en Égypte, que le Caire était noir de monde, on ne peut que se poser la question à la manière de Tarascon : « Putain, Cairo, t’es noir de monde, toi aussi ? »(26). En passant au dessus de l’Inde, je ne peux m’empêcher de dire à ma voisine « J’aurais bien aimé voir Calcutta ». « Et pourquoi pas mon chais », me répondit-elle. Avait-elle mal compris ma question, ou était-ce une vigneronne ? Je l’imaginais déjà avec ses amies, faisant visiter leurs granges à vin. Puis l’écran affiche Paris. Tous ces discours sur la guerre me font craindre, après coup, pour l’intégrité des ponts parisiens et la facilité de circulation. Dans quel état allons-nous retrouver les ponts et les quais de Paris ?

Mais subitement, on atterrit, dans tous les sens du terme. Le pilote nous annonce qu’il fait 5°C, et rien que d’y penser, nous voilà bien réveillés. Mes mauvais rêves sont oubliés, et les ponts de Paris sont toujours la : le Pont Marie toujours aussi bronzé, et le Pont Neuf fait toujours soixante pieds. Nous ne sommes plus à Saigon et mes amis parisiens vont pourvoir tranquillement rouler ce matin à Paris, ils en rêvaient.

Malgré la polaire sur le dos, on est transis. Après les embrassades, chacun part dans sa direction. Pour ce qui nous concerne, Danielle et moi, nous devons attendre quelques heures un TGV qui nous conduira à Dijon, avant de prendre un taxi pour Daix. On est presque seuls dans le wagon, ce qui nous permet de nous assoupir. Notre TGV s’arrête à Montbard. Je me demande à nouveau si je rêve : je sens l’odeur de cette excellente cuisine exotique qui ne nous a pas quittés pendant 2 semaines. Il n’y a pourtant pas de wagon restaurant, et pas de vietnamiens dans le wagon. J’entrouvre les yeux. Il doit y avoir une foire, car je crois voir un panneau « Venez déguster ! Montbard, odeurs ! ». Je sors mon appareil photo et immortalise l’écriteau lisse. Clic ! Ça y est, Montbard est bien cadré. Puis il se met à pleuvoir, et Montbard est à la douche ! Mais j’ouvre alors les yeux, je m’étais endormi, trop perturbé, à la masse. Et je ne peux m’empêcher de penser aux deux extrémités du dernier tronçon du voyage - Montbard et Daix – ce qui, pour mon esprit encore tourmenté, évoque une couleur qui me fait imaginer une improbable course hippique.


Notes :

(1) Une des bières locales classiques est la 333. Pour ceux qui ne parlent pas couramment le vietnamien, 3 se prononce ba, et 333 bababa. Un expert en dénombrement devrait trouver dans ce sous-titre, pas moins de 120 contrepèteries belges, si je ne me trompe, toutes parfaitement identiques (c’est le propre des contrepèteries belges). A noter que ces 120 contrepèteries belges ne sont pas comptabilisées dans les 415 indiquées.

(2) Façon élégante de dire qu’ils ne sont capables que de décoder fort minablement. Mais le problème pe

ut aussi venir d’une ignorance des mots d’argot. Je n’en préciserai qu’un seul – le vi – qui revient souvent en matière de contrepèterie et dont le sens - le sexe masculin - est bien souvent ignoré. Ainsi Mesdames, si on vous dit que le vi est dur, ne croyez pas que votre interlocuteur commet forcément une faute d’accord !

(3) La bonne forme de cette contrepèterie fait état de piliers de mines. Seule cette version est décomptée.

(4) Un peu tirée par les cheveux !

(5) Contrepèterie non décomptée, car elle n’a pas toutes les caractéristiques d’une vraie.

(6) Pour ceux qui ne connaissent pas, Madame Zée se prénommant Nicole

(7) Facile !

(8) Ce n’est pas de la mégalo quand je me cite, mais fallait la faire. Rappelons quand même que la bière de Saïgon, la 333, qui se prononce bababa, n’est pas pour autant vendue en supermarché dans les rayons eaux minérales

(9) Mot auto-contrepétant.

(10) Facile, mais ne compte pas comme contrepèterie, n’ayant aucun caractère grivois.

(11) Pour ceux qui ne pratiquent pas couramment la presse spécialiste du foot, Materazzi, version contrepètée du bolide (non retenu comme contrepèterie dans le décompte) est ce joueur italien qui, en finale du Mondial de 2006, ignorant que Zidane était un adepte du foot rugueux, lui avait susurré qu’il n’arrêtait pas de ressasser la chute de sa sœur, ce qui lui avait valu d’être descendu par son interlocuteur, à bout de course … ou de boule ?

(12) Fallait la faire, mais pourquoi ne pas se faire plaisir, à si bon compte ?

(13) Bernard Delcamp, pour ceux qui n’auraient pas vu la scène.

(14) Il paraît que certains cathos manipuleraient volontiers le béton ?

(15) Allusion bien sûr à notre grand homme politique, Charasse, que le monde entier nous envie.

(16) Un peu tordue, mais fallait la faire !

(17) La traduction n’est pas « Les buts des élites »

(18) Tout le monde aura reconnu Marc Amberg.

(19) Pour les absents, il s’agissait d’Anne Mignard

(20) Déjà introduite précédemment, et donc non décomptée, mais elle vient si bien à propos dans les deux cas !

(21) Un petit rappel au cas où … Javert est l’inspecteur de police du roman Les misérables, de Victor Hugo

(22) Un peu tiré par les cheveux, mais pourquoi pas …

(23) Encore un mot pas forcément très connu, utile au contrepèteur : un panais est un navet qui ressemble à une grosse carotte, et constitue donc un symbole phallique

(24) Sic, comme disent les lettrés ; notre guide cambodgien avait il aussi des prédispositions pour la contrepèterie ? Je pense plutôt que sa langue a fourché et qu’il s’agissait d’un faux contrepet, mais on ne peut exclure que son esprit ait été influencé par l’aura des amateurs de contrepets qui l’entouraient …

(25) Haïlé Sélassié, empereur d’Ethiopie, descendant de Salomon

(26) Un peu tiré par les cheveux !